SUNAKO

BMC_CZ_0098

SUNAKO

Csaba Palotaï – guitare, sampleur
Simon Drappier – guitare baryton
Steve Argüelles – batterie , electronics .

Trio composé de deux guitares et d’une batterie.
Fantasme d’une « guitar music » nouvelle, enracinée dans les sons des guitares des 60′s, des guitares du Sahel, inspirée de la musique électronique, du free et des musiques minimalistes. 

Auto-riffs, explorations et superpositions, mélanges des sons bruts et électroniques, sensations de double vue, rythmes de transe!

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L’enfant des sables

Sunako, c’est l’héroïne du film 港の日本娘 réalisé par 清水 宏 et sorti en 1933. C’est pour accompagner ces Jeunes filles japonaises sur le port à un ciné-concert que s’est initialement constitué ce trio. Mais Simon Drappier, Steve Argüelles et Csaba Palotaï ont décidé de ne pas se quitter comme ça et se sont choisi ce nom, Sunako, qui signifie « l’enfant des sables ». Manière de rappeler, si jamais, que ce premier disque ne vient pas de nulle part.

Il est traversé de pas mal de fantômes, de paysages, d’invitations à la danse et de brumes électriques – parfois tranchantes comme un couteau. Et parmi tous les folklores invités en amis, ici on entendra particulièrement des échos de blues du désert, dans le son du groupe ou dans le salut qu’adresse un cousin des Carpates aux musiciens du Niger (Aïr).

Pour fabriquer ça, on a deux guitares, dont une baryton, qui s’entremêlent tant et si bien que ça fait comme une grande guitare-harpe balayant les octaves. La batterie catalyse la fusion et le tout est cuisiné au feu de bois. On peut dire si ça nous chante que Sunako est un groupe de guitar music (et qui nous jetterait la pierre ?) mais c’est aussi, bel et bien, un animal dansant à trois têtes. Et c’est de cette bête-là qu’on suivra les métamorphoses.

C’est le septième opus des aventures de Csaba Palotaï que publie BMC et le troisième qui témoigne, après Antiquity en 2019 et Cabane Perchée en 2021, de son compagnonnage avec Steve Argüelles. Depuis son échappé en solo (The Deserter, 2016), le guitariste hongrois ne cesse de se réinventer, tout en gardant sa patte transylvanienne et son lyrisme caillouteux. Steve Argüelles apporte sa frappe, tribale et minimaliste comme un théâtre de marionnettes à doigts et sa vision à 180°. Sa gourmandise aussi : un omnichord bricolé, un vocoder, quelques poèmes. Et, nouveau venu sur le label, Simon Drappier, qui dans des univers parallèles joue de l’arpeggione et de la contrebasse, et qui passe d’un univers à l’autre avec l’aisance d’un Steeve Mc Queen sautant sur un cheval au galop, met dans la marmite une poignée d’Ars Nova (Messe de Nostre Dame), une poignée de surf californien (Arsenal) et une poignée de cheveux de Laura Palmer (Henriette).

Ce disque a été enregistré à Budapest en condition de live, sans casque, sans panneaux, en faisant la part belle à l’improvisation. La part du lion. Avec un choix drastique au montage : ne garder que les moments suspendus, ceux où les choses sont en train d’apparaître (telles que les nomme à voix haute Steve Argüelles dans Dalva, pour s’en émerveiller calmement) – ou disons, pour lever les malentendus, ces moments où la musique fait déjà corps, quand bien même nos valeureux musiciens, tout à leur ouvrage, ne s’en seraient pas encore rendu compte. Car il s’agit d’abandon. De vigilance aussi, mais d’abandon pas mal.

Et d’échange : à partir d’un riff ou d’une idée, une sensation ou une nouvelle règle de jeu proposée par l’un ou l’un ou l’autre, les musiciens plongent dans la transe – parce que souvent, le premier prétexte c’est la danse – et se laissent guider par l’impulsion collective. Pas de solo, pas d’ego-trip, pas de démonstration de force. Un no-power trio. Ensemble, ils découvrent ces paysages, les parcourent, s’en étonnent, laissent les motifs se superposer et se frotter et construire d’autres paysages… qu’ils accueillent à nouveau sans à priori. La musique suit son propre chemin, avec ses détours, ses mues, ses passages secrets et ses panoramas inattendus. Tout ce qui surgit est bienvenu : une cathédrale gothique, un fleuve, un lièvre, une biguine.

Cette élaboration par superpositions de motifs ou layers, empruntée à la musique répétitive et à l’électro, est sensible dans The Trail qui suit l’évolution par mitoses d’un simple leitmotiv, ou dans Buckboard, dont la partition est comme un grand panier de briques de Lego, où chacun puise des boucles et des cellules, selon l’envie ou la main de l’instant… et « Tout marche si ça danse ».

Mais dans sa recherche sonore, Sunako emprunte autant à l’électro qu’aux musiques traditionnelles, au rock ou au Jazz bien sûr… et si on ouvre les tiroirs, on trouvera encore d’autres échos. D’autres fantômes et d’autres îles. Du matin radieux comme un jour de marché (Ave de Clichy, du nom d’un quartier populaire de Paris) qui ouvre le disque jusqu’à l’ostinato intranquille (Ricera, en référence au 7ème mouvement de Musica Ricercata de György Ligeti) qui le referme. Car ces musiciens aguerris et mal peignés (ils ont fait un effort pour la photo) et joyeusement (sacerdotalement ?) éclectiques sont revenus de leurs voyages, la barbe pleine de papillons1.

texte : Wladimir Anselme